[Terminé] Le Réfrigérateur (Pv. Eden)

Tiens, finalement le temps vire à la pluie. Une raison supplémentaire pour Andrew de rester bien confortablement assis dans son fauteuil, et par là je veux dire d’une manière plutôt chaotique à limite du humainement concevable, les yeux rivés sur l’écran de télévision HD faisant contraste avec l’état global de l’appartement.

La Périphérie est réservée aux plus démunis, à ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un chez-soi en pleine ville, et ainsi se faire protéger par des Croisés compétents qui se font un plaisir de faire leur boulot… Mais il y a toujours un ou deux types qui ne font pas comme les autres. Là, c’est Andrew Wilder et Eden Raves, les locataires actuels de l’appartement 05, situé au deuxième étage d’un bâtiment en ruines.

Bref, nous parlions de l’homme à la chevelure rouge. On n’va pas faire plus de figures de style à son sujet : il glande. Il n’a rien prévu pour sa journée, et il n’a toujours rien fait. Un cure-dent dans la bouche avec quoi il joue partiellement, changeant de chaîne machinalement pour essayer de trouver quelque chose d’assez amusant, en vain. C’est marrant d’ailleurs, vu son avis tranché sur les moutons du Vatican, qu’il agisse ainsi.

Il laisse échapper un léger soupir puis change finalement de chaîne, tombant sur un énième téléfilm sans saveur de l’après-midi. Andrew balance la télécommande sur un emballage de pizza vide qui a sûrement dû faire son déjeuner, voire même son petit déjeuner vu l’heure à laquelle il s’est couché la veille, avant d’empoigner son soda et d’en avaler quelques gorgées via la paille, au coin de sa bouche. Une belle journée qui s’annonce, quoi.

Déjà plusieurs heures que je travaillais, ne manquant à rien et agissant tel un bosseur modèle qu'ils aiment tant dans les stéréotypes américains : après exactement deux-cent quatre-vingt cinq minutes et dix secondes de travail, j'avais enfin droit à une pause pique-nique et surtout, chose confirmant l'aspect "mi-temps" du boulot, à une pause après-midi.
Bref, posant soigneusement le classique uniforme du parfait vendeur près de l'étal, je m'en allais avec l'esprit vide et simplement une idée en tête : Manger. En effet, j'avais évidemment pas mangé ce matin et du coup, je m'étais permis de demander à "Andynutile" d'aller faire des courses histoire qu'on crève pas à la façon "Onzième siècle, famine et déshydratation".

Au final, j'avais pris l'habitude d'essayer de "compter" sur Andrew pour faire vivre l'appartement quand j'étais pas là .. Enfin je dis bien essayer, car faire confiance à Andrew c'est comme jouer au Poker à Jérusalem, à force de trop y croire tu te retrouves à poil et à la rue.
Montant sans grandes convictions les marches de l'appartement, je pris le temps de jeter un oeil au balcon et, empoignant mes clés, j'ouvrais la porte.

Pourquoi j'ai perdu ma confiance dans l'espèce humaine d'ailleurs ? Peut-être car en ouvrant la porte, je vis simplement un type allongé sur un canapé et entouré d'un bordel pas possible, changeant de chaîne en boucle comme un légendaire consommateur du nouveau-monde avalant son burger avec un intérêt dégoutant. D'un coup, le type jeta la télécommande sur la boîte de pizza tandis qu'un éclair de lucidité frappa l'esprit d'Eden : C’ÉTAIT son repas, il fallait le préciser vu que ce porc avait probablement tout englouti sans vraiment exécuter la seule et unique tâche qui lui incombait; la punition était de mise, n'est-ce-pas ? Était-ce préjudiciable ? Non. Était-ce mal, contraire aux directives du seigneur ? Peut-être bien, mais franchement.. j'en ai rien à carrer, ce type va morfler.
Franchissant le pas de la porte, j'attrapais un rouleau à pâtisserie, bel outil que cela. Je m'adressais donc à l'homme insouciant, un léger sourire aux lèvres :

- Andrew, tu as quelque chose à dire ? J'espère pour toi que c'est important, car il est probable que tu ne te souviennes plus des dix dernières années de ta vie passée dans environ.. deux minutes.

Bam, la porte s’ouvre. D’un coup, Andrew se dit à lui-même qu’il a peut-être oublié quelque chose, quelque chose d’important, même. Une question de vie ou de mort, dans ce genre-là… Enfin bon, cette pensée est rapidement effacée par son ennui monstre, ne prenant même plus la peine de réfléchir lorsqu’il est comme ça, chose plutôt rare car il est d’habitude un peu plus... posé. En tout cas, pas assez posé pour évaluer les conséquences de son erreur.

Son colocataire rentre donc, évaluant rapidement l’état de l’appartement : un carnage sans nom. Andrew est vraiment doué pour mettre le bordel là où il passe, c’est incontestable. Que ce soit dans sa vie professionnelle ou privé, il est toujours là pour causer la polémique ou créer un débat sans fin, jusqu’à qu’un évènement imprévu arrive. Je vous présente celui d’aujourd’hui : Eden Raves.

On peut sentir à dix mètres sa haine montante, à un tel point que sa veine frontale pourrait ressortir, comme elle le fait dans les ces fameux dessins animés où les grands méchants n’arrivent pas à attraper les petits gentils. C’est mignon, sauf qu’il n’y a pas de méchant ou de gentil dans ce cas-ci.

- Andrew, tu as quelque chose à dire ? J'espère pour toi que c'est important, car il est probable que tu ne te souviennes plus des dix dernières années de ta vie passée dans environ.. deux minutes.

Malheureux. Autant jeter de l’essence sur un feu de camp, ça ferait le même effet. Andrew est du genre joueur, et il est pas prêt à abandonner un éventuel combat qui s’annonce sanglant. Ni une, ni deux, il remet en marche son cerveau jusqu’à ce qu’il lui donne une réponse digne de la meilleure répartie du monde entier, deux secondes plus tard.

- Tu as mis du temps, tiens. J’ai cru que tu ne rentrais pas, du coup je me suis permis de manger ta part. Tu ne m’en veux pas, hein ?

Intérieurement, c’est l’explosion de rire, contrastant avec une certaine explosion de rage de la part de son ami. Maintenant, il sait juste qu’il va méchamment déguster, mais deux mots résonnent dans sa tête, encore et encore : Worth it !

Instrument culinaire en main, je jetais un regard inquisiteur à l'anglais qui, d'un grand moment de lucidité, avait décidé de s'enfoncer bien plus profondément dans les limbes de la stupidité. Franchement crevé et pas décidé à taper de nouveau sur l'idiot afin de mettre un bien plus gros bordel, je pris une grande inspiration afin de contenter mes nerfs : En effet, la journée avait été relativement rude au comptoir et les clients exigeants ne s'étaient pas fais rares, je n'avais donc évidemment pas manqué l'occasion de remettre à leur place deux ou trois personnes qui avaient eu la bonne idée de venir se plaindre à MON guichet, comme si j'avais besoin de ça et surtout, comme si c'était mon rôle d'entendre les complaintes d'abrutis consommateurs ! Bref, ma patience était désormais à toute épreuve et j'avais vraiment pas envie de me lancer dans une bataille gagnée d'avance juste avant d'aller casser la croûte, je m'exclamais donc pour calmer l'atmosphère :

- Je veux bien passer l'éponge si tu ranges tout le bordel que t'as mis dans l'appartement.

Avec cette tentative inespérée de reprendre un calme paisible et serein, je savais parfaitement que la situation pourrait aboutir à deux conclusions : Andrew déciderait de faire son emmerdeur et de continuer dans son délire et là, il prendrait pas seulement le rouleau mais probablement la table basse dans la gueule ou alors .. il jouerait le jeu et tout se passerait bien dans le meilleur des mondes, une nouvelle façon de cohabiter émergerait de ce conflit pour instaurer un ordre utopique de "fraternité indestructible", Haha ... Non, c'est une blague.

En pleine réflexion éclair, je devais donc attendre une réaction de sa part car après tout, je crevais de faim et faire durer les affrontements c'était vraiment pas mon truc.

Bon, bah voilà. Le dilemme est finalement posé : soit il continue à faire son malin paresseux qui ne vaut pas vraiment plus qu’une larve attendant de se transformer en papillon, choix aussi lourd que cette phrase sans ponctuation, soit il décide de marcher dans le même sens que son ami, et ainsi s’écrase pour laisser la place à un océan de bonheur.

- Je l’aurais sûrement fait à un moment ou un autre, dans la journée. Mais bon, tout héros a ses petits moments de faiblesse, dit-il en laissant échapper un petit rire, se retirant avec difficulté du fauteuil hyper confortable. Tu as les restes d’hier dans le frigo. Pâtes au beurre, mais au moins t’auras quelques chose à te mettre sous la dent.

Andrew Wilder se dirige dans la cuisine, récupérant un sac poubelle pour nettoyer à la vitesse grand V tout ce foutoir dont il est l’origine. Au moment de finalement s’abaisser pour en terminer avec ce calvaire, la porte s’ouvre en grand. Derrière elle, deux types encapuchonnés, l’un vêtu d’un simple sweat-shirt « I <3 Vatican », l’autre d’un gilet plus sobre, ce dernier étant agenouillé pour trahir le fait qu’il avait crocheté la serrure.

Un spectacle grandiose se dévoile devant leurs yeux : de nombreuses armes à feu, accrochées sur les murs, ici et là, témoignant de l’attrait particulier pour cet « art » qui détiennent les deux Croisés. Andrew tourne sa tête vers son ami en faisant un grand sourire, lâchant dans la seconde son sac poubelle pour se diriger vers l’arme la plus proche. Il se contentera de sa carabine, une œuvre plutôt vieille pour l’époque mais toujours aussi percutante.

Dans un élan de bon sens, les deux cambrioleurs tentent la fuite.

- Je vais sur le balcon, laisses-moi en un.

Des cambrioleurs, sérieusement ? Décidément, tout était prévu pour me mettre des bâtons dans les roues aujourd'hui, un véritable désastre de coïncidences qui commençaient légèrement à me faire monter l'adrénaline.
A côté de moi, Andrew semblait me jeter le regard du chasseur prêt à en découdre avec sa proie, éternel sourire carnassier qui en disait long sur ses intentions punitives vis-à-vis des cambrioleurs.. Moi, j'en avais simplement marre et je voulais manger, j'avais bossé toute la matinée et il y avait apparemment une divinité qui souhaitait que j'entre dans une sorte de rite religieux avec le thème de la famine et de l’abstention; sauf que non, je n'avais pas l'intention de plier sous la fatalité et je comptais bien avaler les restes de Pâtes au beurre qui siégeaient tranquillement dans le réfrigérateur, alors il était temps d'appliquer ma nouvelle méthode de chirurgie esthétique sur les messagers divins de la criminalité et ainsi, les renvoyer dans leurs bas-fonds.

- Je vais sur le balcon, laisses-moi en un.

Ainsi, je reprenais mes esprits. En effet, les cambrioleurs commençaient à vouloir prendre la fuite afin de sauver leur peau, peut-être la décoration de l'appartement qui faisait son petit effet ? Enfin le truc, c'est que je n'allais pas les laisser se barrer comme ça et qu’apparemment Andrew non plus, je hochais donc la tête en guise de réponse et me dépêchais de partir à la poursuite des criminels, le poing serré.
Finalement, les deux individus ayant quelques secondes d'avance sur moi, je glissais contre la rambarde de l'escalier afin de sauter l'obstacle et retomber plus bas grâce à une roulade calculée et, ci-fait, je pris une petite seconde pour me placer correctement et envoyer valser le retardataire d'un balayage puissant, le faisant ainsi s'écraser face contre terre sur un carrelage des plus accueillants.

- Je déteste les pourritures dans ton genre, tu crois que les gens de la Périphérie ont besoins de types comme vous ?

Le type semblait me regarder avec des yeux terrifiés, bon sang .. Depuis quand les gens qui ne rechignaient pas à voler les biens d'autrui en allant jusqu'à blesser leur propriétaire faisaient dans le sentiment ? Je ne comptais pas faire dans le détail, la justice s'appliquait à tous de manière impartiale et son ami qui l'avait lâchement abandonné dans sa course en bénéficierait également.
J'écrasais le crâne du criminel avec ma chaussure, celui-ci poussant quelques pitoyables gémissements, je m'adressais toutefois à lui afin de lui imposer un ultimatum :

- Tu as la jambe cassée, on dirait. Je vais te donner une chance, tu vas rentrer chez-toi et vivre une vie honnête, inutile de t'abattre pour le moment.

On aurait dit qu'une flamme s'était embrasée dans les yeux du cambrioleur, ça me dégoûtait. J'avais moi-même mauvaise conscience à vivre avec un passé criminel alors que ce type, lui, n'avait même pas éthique en tête et pensait simplement à sa survie. Je faisais toutefois souvent en sorte de laisser une chance à ces gens-là et, bien que je pensais que c'était plus par altruisme par rapport à ma situation que par compassion, je sentais que c'était plus un devoir qu'une habitude.

- Par contre, je te surveillerais. Si je juge que tu n'as pas changé, je t'écrase le crâne contre le sol jusqu'à que ta caboche explose, d'accord ?

L'homme agita la tête avec vivacité pour probablement simuler un oui, sûrement en émoi car il avait compris qu'il allait finalement survivre à sa mésaventure, je lui fis donc signe de s'en aller et tournais les talon vers l'entrée de l'appartement afin d'aller prendre mon repas tant attendu.

Malheureusement, quelque chose n'allait pas.. Ce type faisait trop de bruit, pourquoi souhaitait-il rendre les choses plus difficiles qu'elles l'étaient déjà ? Tant pis. C'était la punition divine qui allait s'abattre sur lui, il avait décidé lui-même de son destin.
En effet, mes anticipations étaient bonnes et l'homme à qui j'avais laissé la vie plus tôt essayer de s’emparer de la mienne, ayant sorti un petit canif ridicule, il s'attaqua à moi de manière chétive et ce, avec une force énormément réduite par sa jambe cassée : Mauvaise idée.

De retour à l'appartement, mon ventre gronda : en effet, j'avais faim à m'en tordre les boyaux, j'avais l'impression d'être Somalien... Ainsi, je pris le temps de laver mes mains rougeoyantes avant de me rendre dans la cuisine pour prendre mon repas, élément tant attendu et but final de mes péripéties.

Tranquillement, Andrew Wilder se dirige donc sur le balcon de leur appartement, miracle en lui-même vu que c’est déjà un luxe d’avoir un balcon dans ce genre de taudis. Enfin bon, ça donne quelques avantages qu’on ne peut cacher dessus, comme avoir une belle vue sur les allers et venues de l’immeuble.

Dehors, il pleut des trombes, mais l’Anglais distingue néanmoins une silhouette qui fuit comme si la Mort elle-même lui avait rendu visite. La personne trébuche sur un pavé à moitié retiré du sol, faisant gagner un peu de temps au jeune homme, qui pose alors doucement sa carabine sur la rambarde. Il met son doigt sur la gâchette, ferme un œil, sifflote un petit air rapidement étouffé par le bruit lourd de la pluie, puis exécute finalement sa proie.

Le tir est camouflé par la pluie, mais pourtant le corps tombe bel et bien sur la place. Il s’écroule, comme ça, en une seconde. Comme si ses jambes avaient été taclées. Une mare de sang commence donc à se répandre sur la place, quelques têtes curieuses sortent de chez eux pour inspecter le carnage, sans pour autant les horrifier : c’est une question d’habitude.

Andrew rentre alors dans l’appartement, posant la carabine sur la table basse en esquissant un petit sourire. Il prend une légère inspiration, puis tend son poing en l’air.

- HEADSHOT ! s’exclame-il dans un anglais plus que correct. Ils devraient nous rendre visite plus souvent, ça nous entraînerait. Bon, certes un jour ils vont finir par péter la serrure, mais ce n’est qu’un petit risque à prendre pour le plaisir donné. A domicile !

En réalité, ça ne plait pas plus que ça à Andrew d'exécuter des hommes de cette manière. Il a déjà marché sur les pas de ces cambrioleurs, donc il sait pourquoi font-ils ça... Mais hélas, ils ont frappé à la mauvaise porte. Pas assez malins pour œuvrer de jour, ni pour inspecter les lieux pour voir qui habitent ici, ni pour voler les biens de quelqu'un qui est aussi pauvre qu'eux. La Périphérie s'entretue, il faut supprimer les mauvais éléments. Ceux qui font trop de vagues, ceux qui aiment faire du bruit pour rien. Ceux qui passent à l’acte, ceux qui donnent un prétexte aux Croisés pour attaquer. L’épine dans le pied du Vatican.

Le jeune homme prend alors son téléphone pour arranger la suite des choses, car il ne faut pas laisser des cadavres comme ça en peine rue, c’est la moindre des choses. Un coup de fil aux autorités et ils s’en occupent, ni vu ni connu. Encore un coup des Hérétiques ayant agressé d’honorables citoyens, quoi.

Eh bien, on dirait qu'Andrew avait finalement fais sa petite affaire, sans mauvais sens caché. De toute façon, il fallait dire que j'avais fais ma part du travail et que je m'en étais plutôt bien sorti, l'estropié maniait le couteau aussi bien qu'un cuisinier britannique et au final, il était retourné auprès de ses ancêtres sans vraiment me faire de tort.. Enfin si on ne compte pas la tâche qui avait allégrement décidée de se poser sur mon pantalon neuf de deux semaines, ça m'apprendra à retourner l'arme d'un agresseur contre-lui.

Bref, me remplissant l'estomac, je notais donc que les pâtes avaient un petit goût étrange et j'en déduis qu'Andrew les avait fais réchauffer plusieurs fois, ou alors c'était vraiment le goût de base des pâtes ? Je sais pas vraiment ce qu'était le pire, mais dans les deux cas j'avais compris qu'il faudrait VRAIMENT que je songe à m'occuper, encadrer et préparer la cuisine que je mange moi-même sans frôler l'intoxication alimentaire, simple question de bon sens à adopter.

Je vis donc Andrew revenir téléphone à la main avec probablement dans l'idée de faire disparaître les corps des malchanceux, et ce grâce aux services tant pratiques des Croisés qui faisaient bien plus passer l'ordre pour de la haute-criminalité qu'une organisation sainte de répression.
Mal nourri mais toutefois repu, je lui adressais un bref regard avant d'attraper mon verre d'eau, ingurgitant une gorgée du breuvage rafraîchissant et employant toute mon anticipation positive pour imaginer que le reste de la journée serait calme et reposant.

[ Ainsi je clôture ce RP, merci d'avoir lu ! ]