Ah… mais quand est-ce que je serai libre ? se disait l’attachée de rayon de la bibliothèque universitaire.
Depuis le matin même, elle marchait en long et en large, trouvant chaque minute plus longue que les autres. Eleonora. C’était elle qu’elle attendait de voir depuis la veille. Elle avait déjà tout prévu ! Le café, la boisson, quelle tenue mettre et quelle attitude prendre.
Les étudiants, bien trop laborieux à son goût, ne quittaient pas la bibliothèque aussi tôt que les autres jours. C’était bien embêtant.
Une énième fois, rouquine se rassit sur sa chaise. Elle tourna derrière son bureau puis ouvrit un livre, en lut deux lignes et le reposa sur la table. Puis elle se décida d’aller le ranger et là –là !- le clocher sonna.

« Yes ! s’écria-t-elle. »

Quelques étudiants la regardèrent d’un drôle d’œil et elle leur indiqua la sortie presque poliment. Elle s’éclipsa de la bibliothèque sans s’occuper de ranger, laissant cela à ses collègues qui n’apprécieraient pas. Mais bon pour le nombre de fois où c’étaient elles qui lui avaient fait le coup !
Trottinant vers la place Saint-Alexandre où elles s’étaient données rendez-vous, Rubis prit le temps de s’arrêter un instant devant une vitrine pour tenter de discipliner ses cheveux fous en vain. Elle ajouta aussi un très de rouge à lèvre puis l’enleva brutalement en voyant l’effet qu’il faisait sur elle, c’était beaucoup trop voyant voyons ! Et puis ce n’était qu’une amie…
Agacée par sa propre attitude, la bibliothécaire eut bien du mal à s’empêcher de faire la tronche en entrant dans un café de la place. Elle s’installa près de la vitre, bien éclairée, pour que Eléonora puisse la voir facilement. C’était un café très tranquille, sans trop de monde, à l’allure assez cosy. Agréable somme toute.
La serveuse se dirigea vers elle et Rubis la renvoya poliment, l’informant qu’elle attendait une amie avant de commander. Puis, toujours aussi impatiente, elle attendit en regardant pas la fenêtre si elle voyait le professeur arriver tout en se triturant les mains.

Présentement, Eleonora, probablement déjà en retard, courait dans les rues de la cité du Vatican en direction de la place Saint-Alexandre. Son dernier cours de la journée s'était éternisé. Ses étudiants avaient bien choisi leur jour pour s'intéresser à ce qu'elle disait et lui poser des questions. Mais Eleonora ne s'était pas démontée, et elle était même plutôt fière d'elle. Même si elle était sortie de la faculté avec dix bonnes minutes de retard. Elle espérait que Rubis ne lui en voudrait pas trop, pour le coup.

Passant devant la vitrine d'une boutique, Eleonora prit tout de même le temps de s'arrêter afin d'ordonner ses mèches blondes, histoire d'être un peu plus présentable malgré l'état dans lequel venait de le mettre son petit sprint. Après tout, elle n'était pas franchement une habituée des activités sportives.

Ceci fait, et après quelques minutes passées à marcher à un rythme plus rapide que d'habitude, Eleonora, essouflée, poussa enfin la porte du café dans lequel elle devait retrouver la rousse, rousse qu'elle repéra immédiatement et vers laquelle elle se dirigea, tout sourire, s'installant sur la chaise en face de Rubis.

"Bonsoir ! Hum... d... désolée du retard, mon dernier cours a duré un peu plus longtemps que prévu..."

Gênée, Eleonora détourna timidement les yeux.

"M... mais... merci beaucoup de m'avoir invitée... ça me fait plaisir..."

Rubis poussa un soufflement de soulagement, enfin.
Non, c'est pas qu'elle attendait depuis longtemps, juste qu'elle était beaucoup plus calme, apaisé quand la blondinette était dans les alentours. Pourtant Eleonora était si stressé. Etait-ce malsain d'être soulagée ainsi ?

"Aucun soucis, tenta-t-elle de la rassurer"

Puis, nerveusement, elle attrapa la carte du restaurant, triturant les coins de celle-ci. Elle venait d'oublier ce qu'elle avait prévu de prendre. Un thé ? Un café ? Ou tout simplement un chocolat? Oui elle aimait bien le chocolat chaud... Mais ça faisait enfantin n'est-ce pas ? Un thé était pas mal aussi... Le café était réservé au matin en tout cas.
Réalisant que la serveuse était à nouveau là elle se décida pour un chocolat viennois, la gourmandise remporta.

"Dur journée ?"

Pas qu'elle ne savait pas quoi dire...
Elle donna la carte à la serveuse et observa la blondinette en souriant légèrement.
Rouquine baissa le nez sur ses mains posées sur ses jambes, elle ne savait pas trop où se mettre. Elle n'aurait jamais imaginé qu'elle pouvait être si nerveuse. Ne l'apaisait-elle pas lorsqu'elle était arrivée?
Le picotement repris, elle ne l'avait pas ressentit depuis la dernière fois à la bibliothèque. Intriguée, elle observa à nouveau ses mains et jeta un regard suspicieux à Eleonora. Elle espérait qu'elle soit la cause de cette sensation, pas une mutation bizarre à nouveau s'il vous plait !

Eleonora prit quelques précieuses secondes pour totalement retrouver son souffle, le peu d'effort physique qu'elle venait de faire lui suffisant largement pour tout le reste de la semaine. Ceci fait, elle ne prit pas vraiment la peine de jeter un coup d’œil à la carte de ce que l'établissement pouvait bien proposer et commanda un chocolat chaud. Le café, c'était un peu trop pour elle. Une fois le problème de la commande réglé, Eleonora entreprit d'enfin retirer le manteau qu'elle n'avait pas encore eu le temps de quitter dans sa précipitation, avant de répondre à la question de Rubis par rapport à sa journée.

"Disons que... ils étaient intéressés pour une fois..."

La blonde lança un large sourire à Rubis.

"Merci de m'avoir aidée à trouver mon livre, hier... Il a participé à mon succès du jour."

Sur le coup, Eleonora s'étonna elle-même de s'entendre parler si distinctement, mais après réflexion, outre l’apaisement que lui offrait la fin d'une journée bien remplie, se retrouver en tête-à-tête avec quelqu'un qu'elle appréciait la rassurait et l'aidait dans sa communication d'habitude bien plus chaotique.

Un silence s'installa et, au moment où la jeune professeur allait se lancer pour le briser d'une manière plus ou moins efficace, son regard croisa celui, incroyablement furtif, de Rubis. Quelque peu surprise, Eleonora constata que la demoiselle en face d'elle semblait de nouveau perdue dans la contemplation de ses mains.

"Il y a un problème... ?"

Rubis l'observa enlever son manteau et l'écouta avec un doux sourire.
Et c'est à ce moment-là que les picotements commencèrent.

"Il y a un problème... ?"

Elle ne l'a pas entendu, trop préoccupé par ses mains. Son souffle s'accélère de nervosité. Elle reconnait maintenant très bien cette sensation, celle qu'elle a lorsqu'elle vole un pouvoir. L'identifier, là est la faiblesse de cette superbe capacité. D'ailleurs Rubis ne pense pas en être capable un jour, c'est un peu comme une surprise à chaque fois. Sauf qu'au lieu de l'aider ce pouvoir peut très bien se rendre dangereux pour elle... et pour autrui.
Elle lève les yeux vers la blondinette et repense au condensé de lumière qui a jaillit de ses mains. Et si ç'arrivait de nouveau ? Elle glisse ses deux paumes de mains sous la table, comme si ça pouvait atténuer l'effet.
Elle hésite, cherche ses mots, se lance d'une voix emplie de doutes.

"As-tu été bénis ?"

Ainsi posé, la question peut refroidir. Cela sonnait comme une critique, un reproche. Aussitôt, Rouquine se reprit.

"Ce n'est pas un problème hein, il faut juste que je le sache. Pour notre bien à toutes les deux."

Bien intrigante exclamation.

Une expression entre l'interrogation et l'incompréhension se dessina de suite sur le visage d'Eleonora en réaction à la question de Rubis.

"H...hm...euh..."

De nouveau peu à l'aise et bafouilleuse, la demoiselle ne comprenait pas vraiment pourquoi son interlocutrice lui demandait ça, d'autant que parler de sa bénédiction n'était pas quelque chose qu'Eleonora aimait par dessus tout. Disons qu'elle se savait peu douée dans son utilisation, ou, tout du moins, qu'elle pourrait s'en servir pour autre chose que fuir ou se cacher mais qu'elle ne le pouvait pas. Essayant de se calmer, elle reporta son attention sur Rubis et entreprit de lui répondre.

"E...eh bien, mh... o... oui... je... je maîtrise la lumière... m... mais je ne suis pas très douée..."

Maîtriser était en effet un bien grand mot ceci dit, mais bon, c'était l'intitulé qui figurait dans les fichiers du Vatican.

"Pourquoi cette question... ?"

Les dernières paroles de Rubis n'avaient pas rassuré Eleonora pour un sous et elle se demandait bien ce qu'elle avait pu faire de mal et s'imaginait déjà bien des choses.

Les mains de la rouquine la piquaient de plus en plus et son inquiétude était croissante.
Le regard paniqué, elle écouta la réponse pleine de doute de Eleonora :

"E...eh bien, mh... o... oui... je... je maîtrise la lumière... m... mais je ne suis pas très douée..."

La... lumière ?
Rubis se radoucie immédiatemment, si c'est cela ça ne doit pas être trop offensif ! À moins que... non... ça ne peut pas être ça. Et pourtant, la scène de la basilique passe encore et encore dans la tête de la bibliothécaire. Si c'est bien le même pouvoir alors il y a de quoi s'inquiéter des picottements.
Bon, concentration. Oublie tout ce qui t'entoure. Rubis pose ses mains sur la table, paumes vers le ciels, mets ses deux pieds à plats et souffle doucement. Elle vide sa tête. Le picottement s'évanouit. Elle ne sait pas trop si elle a rendu son pouvoir à la blondinette ou si elle a arrêté de concentré l'energie ou autre mais ça semble fonctionner.
Rouquine relève alors les yeux vers Eleonora avec un petit sourire gêné.

"Lorsque je suis en présence de quelqu'un possedant une benediction j'ai tendance à la lui voler involontairement. Temporairement bien sûr. Je ne contrôle pas du tout. Je ne voulais pas prendre le risque de nous mettre en danger alors j'ai préféré te demander. N'en parle pas, tu es la seule au courant pour le moment. Ca m'a déjà attiré pas mal de galères."

Un coup d'oeil vers la cuisine pour voir si leur commandes n'arrivaient pas. Pas encore.

"Ca peut être offensif ?"

Par là, elle pensait à l'accident de la basilique. Elle craignait de mettre Eleonora en danger si cela s'averait être possible.

Toujours relativement anxieuse, Eleonora observa attentivement Rubis, qui était en train de faire allez savoir quoi. Elle l'observe, elle l'observe, et puis elle sursaute légèrement lorsque son interlocutrice reprend finalement la parole.

"O...oh... Je vois."

Complètement idiot comme réponse mais c'est la seule chose qui parvint à traverser les lèvres d'Eleonora après que Rubis lui expliqua la nature de son propre pouvoir. Alors, histoire de dire quelque chose de plus intelligent, elle reprit la parole en lui adressant un petit sourire.

"Je ne dirai rien !"

Puis Eleonora se fit quelque peu pensive à la question de Rubis. Et un peu sombre lorsque lui revint à l'esprit la crise qu'elle avait eu face au banquier. Elle reprit donc la parole, peu assurée de ce qu'elle devrait, ou pas, dire.

"E...eh bien... Comme je l'ai dit je ne suis pas très douée e...et... je m'en sers pour... euh... diverses occasions, m... mais... Oui, cela peut potentiellement être dangereux."

Et Eleonora imita grossièrement un rayon laser qu'on tirait, pour lui donner une idée de ce qu'elle ne savait absolument pas faire. Du moins pas sur commande.

"Je ne dirai rien !"

Rubis lui rendit son petit sourire, complice, yeux pétillants. Elle appréciait vraiment Eleonora. Elle se sentait si bien en sa présence !
Elle vit distinctement sa blondinette retomber dans ses pensées et fronça les sourcils en voyant une mine trop sombre pour son visage. Qui ? Qui l'avait blessé ? Elle se sentait bouillir.

"Oui, cela peut potentiellement être dangereux."

De sombre sa mine était devenue sérieuse et Rub' s'était donc adoucit, intéressé par ce que Nora avait à lui montrer.
Elle se pencha au-dessus de la table pour mieux voir ses mains et l'observa faire. Et là... stupeur ! La pire chose que Rubis pouvait imaginer, la pire chose que Nora pouvait faire, la pire des choses... elle produisit un semblant de rayon laser.
La mine grave, Rubis porta la main à sa bouche et se mit à réfléchir, activement, longuement. Elle ne s'était pas mise en danger seulement, mais également Eleonora.
Rouquine leva les yeux vers sa camarade et l'observa sous tous ses traits. Elle ne savait que faire.
Le temps s'écoula et la commande arriva. Rubis remit le problème au lendemain. Un sourire sur le visage, dans un petit rire, elle s'exclama :

"Et bien ! C'est impressionnant ! Enfin tu ne sembles pas capable de t'en servir en mal ! C'est pas très étonnant et bien mieux comme ça !"

Après ça, un petit silence s'installa. Silence durant lequel Eleonora, intriguée, vit Rubis réfléchir longuement. À quoi ? Elle aurait bien voulu le savoir ! Et, lorsque la jeune professeur allait d'ailleurs le lui demander, leurs commandes arrivèrent et elle rangea ça dans un coin de sa tête, se disant qu'après tout, ce n'était pas important, préférant s'intéresser avidement au chocolat chaud qu'on venait de lui apporter. Il avait l'air encore meilleur que ceux qu'on lui préparait à la maison, c'est dire !

Après en avoir bu avec plaisir une longue gorgée, elle reporta son attention sur Rubis qui reprenait la parole. À ses mots, Eleonora eut petit rire nerveux, gênée.

"Ah... ahah... C... c'est vrai que je me contente de l'utiliser pour, e... eh bien... me cacher ou... ou des choses comme ça..."

Ce qui, évidemment, est fort noble ! Mais ça lui allait bien, après tout. Ceci dit elle pouvait faire d'autres choses, comme...

"Oh, mais je peux aussi faire ça ! A...attends !"

Et, l'espace de quelques secondes, Eleonora se concentra pour modifier subtilement la lumière autour d'elles, créant progressivement une illusion, un mirage : celle d'une belle table garnie de bouquets et de desserts délicieux ! Mirage qui s'évapora bien évidemment lorsqu'Eleonora arrêta d'user de son pouvoir.

"V...voilà... C'est pratique mais pas très dangereux, ahah..."

Et elle baissa les yeux, murmurant le reste.

"Mais c'est peut-être mieux, oui... J'imagine que ça me va bien...

L'arrivée de la serveuse permit à Rubis de penser à autre chose, elle récupéra son mocca et apprécia la caféine tout en observant la petite professeur savourer son chocolat. Bien que préoccupé, elle souria de bon coeur en l'entendant dire qu'elle utilisait son pouvoir pour se cacher. Etait-ce étonnant ? Loin de là, surtout venant d'elle ! Si mignone !

"Oh, mais je peux aussi faire ça ! a...attends !"

Et là, sous ses yeux ébahit, Eleonora transforma la réalité, créant un mirage, lui montrant toutes sortes de douceurs !
Rubis se redressa et s'exclama instinctivement :

"Mais c'est génial Nora !"

Puis elle réalisa qu'elle avait utilisé un surnom et désira se cacher dans un petit trou, de timidité, puis décida que c'était une bonne chose finalement. Malgré la situation inconfortable dans laquelle elle l'avait tiré.

"Ca pourrait l'être, dangereux, mais tu l'utilises de façon brillante !"

"G...Génial ? T...tu trouves ?"

Eleonora, les yeux baissés et occupés par la contemplation de ses mains sur ses cuisses, était devenue totalement écarlate, sans savoir si c'était à cause des compliments de Rubis ou du surnom que son interlocutrice venait d'employer. Oh, évidemment, ses parents l'appelaient souvent Nora mais... il s'agissait de ses parents, quoi.

"J...je me suis juste beaucoup entraînée... Ahah... ahahah..."

Ne sachant plus quoi dire et étant passablement gênée, Eleonora ne trouva comme solution que de se taire et de boire le reste de son chocolat, manquant au passage de se brûler. Mécaniquement, la demoiselle jeta finalement un regard à sa montre.

"Oh ! Il se fait tard... mes parents vont finir par s'inquiéter..."

Timidement, elle leva les yeux vers Rubis avant de finalement détourner le regard, par peur de croiser celui de la rousse.

"T...tu veux faire le chemin avec moi... ?"

Avant de finalement se rendre compte de ce qu'elle venait de dire et de paniquer comme la petite fille trop timide qu'elle était.

"E...enfin tu n'es pas obligée ! E...et puis je dis ça mais je ne sais même pas où tu habites a... alors... je ne veux pas te déranger... Ahahah..."