« Respire. Respire. Respire. »

La maquilleuse n'avait donc que ce mot à la bouche ?! Qu'elle mette donc son don d'empathie en veilleuse, sinon Lhaar allait vraiment finir par tomber dans les abîmes du stress et ça ne serait pas beau à voir. Cette interview était prévue depuis des semaines et elle n'avait pas envie de la faire foirer à cause d'une chose aussi stupide que la nervosité. Une promotion se situait à la clef et même si Lou et elle ne crevaient pas de faim, c'était son jour de chance.
Lou, elle la regarderait, ce soir. Elle devait tout donner pour elle, pour qu'elle soit fière d'elle.

Lhaar préparait ses questions depuis longtemps, elle les connaissait par cœur, comme on connaît un texte de théâtre. Elle connaissait toutes les parades à tous les types de réponse et saurait se rattraper devant n'importe quel souci technique. Non vraiment en tant que journaliste, Lhaar était vraiment bien rodée ce soir. Une discussion publique avec Alicia Alvey ne s'obtenait ni facilement, ni tous les jours. C'était une aubaine, à la fois pour elle et pour la chaîne, qui allait atteindre un pic d'audience phénoménal ce soir.

« Respire. »

« Ta gueule ! »

Voilà, Lhaar commençait à stresser. Etonnée, la maquilleuse stoppa son geste et termina le maquillage de Lhaar à l'aide d'un trait de rouge à lèvres expédié d'une main de maître. Lhaar perdait son sang froid, elle d'ordinaire si droite et si digne. Il ne fallait pas la pousser, c'était l'émission de sa vie, nom d'un chien ! Saisissant ses papiers, Lhaar sortir du salon et alla s'asseoir à sa place toute désignée sur le plateau. Le public rentrerait bientôt et s'installerait sur les gradins qui valaient un salaire. Le prompteur se mit bientôt en marche. Ils n'attendaient plus que leur invitée d'honneur.

Isabella Iannuzi, miss communication du Vatican, avait réussi à convaincre, au bout d'un âpre combat, Alicia de passer à la télévision, mettant en avant combien la demoiselle était télégénique et combien la population apprécierait certainement d'assister à l'intervention publique d'un des trois Saints de la cité. Alicia, elle, ne le sentait absolument pas, mais Isabella devait savoir ce qu'elle faisait, même si, elle s'en doutait, la perspective du profit et de l’Audimat bondissant et explosant devait aussi entrer dans ses calcules.

C'est donc sans vraiment le vouloir que la demoiselle avait gravi les innombrables étages de la tour du savoir, lieu où se concentraient tous les médias de la ville, et qui, de ce fait, était en quelque sorte le royaume d'Isabella. Ce qui était loin d'être rassurant, au final. Les yeux braqués sur le ciel quasiment nocturne qui s'étendait déjà au-dessus de la ville et qu'elle pouvait distinguer à travers les larges vitres qui entouraient l'ascenseur vip, elle ne fût tirée de sa quasi-torpeur qu'au moment où l'Automne de Vivaldi laissa la place à un bip caractéristique lui indiquant qu'elle était arrivée à l'étage désiré. Ce que lui confirma l'hôtesse qui passait ses journées plantées à l'intérieur d'un ascenseur.

À peine les portes ouvertes, la jeune Sainte se glissa à l'extérieur et se hâta de traverser le vaste couloir qui s'étendait face à elle. Rapidement, agents de sécurité vinrent à sa rencontre et lui indiquèrent que sa loge était dans cette direction et qu'une maquilleuse était déjà prête, ce dont se foutait royalement Alicia qui ne voulait qu'une chose : qu'on lui indique où était le plateau où elle devait se rendre histoire d'en finir rapidement. Isabella avait beau vanter son profil télégénique, la demoiselle ne supportait pas cet exercice. Gregorio était bien plus doué pour cela.

Comprenant bien qu'ils n'arriveraient pas à la faire changer d'avis, on la mena donc prestement là où l'émission allait être tournée. Alicia ne s'arrêta que quelques secondes face à une glace, histoire de s'assurer qu'elle était au moins présentable, bien que sa tenue ne différait pas de celle qu'elle avait l'habitude de porter, et ce malgré l'occasion. Ceci fait, et après avoir jeté un bref coup d’œil à la montre qui pendait à son poignet, Alicia s'engagea finalement sur le fameux plateau, où tout semblait déjà en place ou presque. On lui désigna sa place et elle alla prestement s'y installer, faisant tout son possible pour ne pas trop tirer la gueule et renvoyer une bonne image. Faisant brièvement le tour de la salle d'un regard, elle l'arrêta finalement sur son hôte du soir, Lhaar Lowell, qu'elle ne connaissait que brièvement, et essentiellement de vue

"Bonsoir."

Le stress qui habitait chaque particule du corps de Lhaar et rendait ses documents moites de sueur grimpa un échelon lorsque l'un des trois Saints du Vatican, Alicia Alvey, pénétra dans le studio pour s'asseoir à ses côtés. C'était la première fois que Lhaar la voyait en vrai et elle s'efforça de ne pas la détailler de manière trop visible et éloquente. Son attirance pour les femmes, sans aucune doute, dirigeait son regard sur certaines parties du corps de la Sainte. Elle se reprit dignement malgré tout, lorsque cette dernière lui souhaita le bonsoir.

« Bonsoir, Madame Alvey, c'est un plaisir. »

Bien entendu que ce n'en était pas un, mais dès l'instant ou Lhaar avait posé son cul sur cette chaise, elle travaillait et devait donc tenir sa langue. Plusieurs personnes de l'équipe télévisée se pressèrent vers elle pour lui redonner un coup de maquillage, lui offrir à manger ou bien à boire. Bien entendu, quelques secondes plus tard, la grande patronne qui avait été informée de son arrivée, fit son entrée. Bien entendu, elle alla saluer Alvey et bien entendu, ignora délibérément Lhaar, jusqu'à ce qu'elle s'approche d'elle, avant l'entrée du public, pour lui assurer d'un ton menaçant qu'elle comptait sur elle. Du genre « tu fais une connerie, t'es virée, girl. ». Lhaar comprit le message et se tint droite tandis que les portes s'ouvraient pour vomir les membres du public.

Une telle interview, évidemment, fit salle comble. Et Lhaar se doutait bien – espérant qu'Alicia Alvey comprenait aussi le principe – qu'il s'agissait d'une pièce de théâtre où chaque phrase était aussi fausse que décisive. Il fallait faire bonne image et ne pas dire un mot plus haut que l'autre. Ce serait cordial, rien de plus. Voir Alicia Alvey à la télé était déjà un exploit, elle et ses frères d'armes se faisant discrets.
A vingt heures pétantes, un membre du staff annonça qu'elles étaient à l'antenne. Le prompteur ordonna au public d'applaudir et les projecteurs furent braqués sur Lhaar. Aller ma belle, pense à Lou et lance-toi.

« Bonsoir à tous et bienvenue à ce nouveau numéro de Papier Journal ! Un numéro tout à fait spécial en ce 25 Décembre 2013 puisque nous avons le grand honneur d'accueillir en exclusivité Madame Alicia Alvey, Sainte du Vatican. Madame Alvey, bonsoir ! »

Et de une. La suite maintenant. La salive de Lhaar était si sèche qu'elle lui donna l'impression d'avoir une extinction de voix. Contrôlant ses tremblements, Lhaar enchaîna.

« Cette interview est très attendue à la fois en cette journée très significative, d'autant plus que nous ne vous voyons jamais à l'écran, pourquoi cette discrétion ? »

Alicia se détendit. Tout du moins elle fit tout son possible pour être et paraître moins glaciale et rigide. L'exercice ne lui plaisait certes pas, mais après tout. Croisant les bras, elle se décida à attendre le début de l'émission, ne relevant les yeux que pour saluer Isabella, l'une des personnalités les plus importantes sur ce vaste échiquier qu'était le pouvoir du Vatican. L'ayant assurée que tout allait bien, Alicia la suivit du regard, l'observant, sans vraiment y prêter attention en vérité, s'entretenir brièvement avec Lhaar Lowell.

Les quelques dernières secondes qui la séparaient encore du "grand moment" lui semblèrent soudainement une longue éternité. Elle avala une gorgée du verre d'eau qu'on avait déposé à côté d'elle, plus pour passer le temps que par réelle soif, et l'émission débuta finalement par les applaudissements nourris d'un public docile. Se redressant dans son siège, Alicia jeta un bref coup d’œil aux caméras avant de se concentrer sur Lhaar, dont elle connaissait dans les grandes lignes les questions.

"Tout d'abord, je souhaite un joyeux Noël à tout le monde, présents sur ce plateau, ou en train de nous regarder en ce moment. Maintenant pour répondre à votre question, disons que nous avons pour habitude de nous partager les tâches en fonction du domaine de compétence de chacun. Là où certaines personnes sont à l'aise face aux caméras, je suis personnellement plus douée pour le contact direct. Toutefois, la perspective de pouvoir toucher un nombre bien plus important de personnes par ce biais, tout en satisfaisant leur curiosité et en répondant à leurs interrogations, qui plus est en ce jour spécial, a achevé de me convaincre de me prêter à cet entretient, et je vous remercie d'ailleurs de m'y avoir invitée."

Fausse ou non, surjouée ou sincère, la modestie de la Sainte qui portait alors bien son titre attendrirait les spectateurs en cette journée symbolique pour les catholiques. Sans doute Isabella l'avait-elle coachée sur l'attitude dont elle devait faire preuve. Sur le plateau d'Isabella, tout le monde, y compris les plus puissants du Vatican, devenaient des pions qui devaient se soumettre aux règles du jeu pour plaire au public. Trop stressée, Lhaar ne put prendre le temps de s'en amuser ; le Vatican entier fixait les yeux sur elles, sur cette petite jeune femme banale que tous dans cette salle, auraient tuée pour prendre sa place.

Si Alicia Alvey était au courant des questions qui lui seraient posées, Lhaar était au courant des réponses qu'elle était sensée donner, résultat de son propre briefing et de nombreuses recherches dans plusieurs journaux et magazines sensées dépeindre la psychologie de la jeune femme. Lhaar ne se faisait cependant pas d'illusions : la Sainte ne serait pas aussi facile à cerner que la plupart des personnes présentes dans cette salle.

« C'est nous qui vous remercions de prendre le temps de vous joindre à nous et de répondre à nos questions ! »

Cette phrase étant elle aussi prévue, le prompteur donna un ordre au public qui se chargea de l’exécuter par des applaudissements polis, histoire de ne pas camoufler les paroles des deux jeunes femmes.

« Beaucoup des citoyens fidèles qui nous regardent ce soir sont en effet curieux d'en apprendre davantage sur vous qui êtes, autant que vos frères, une icône à laquelle ils aiment à s'identifier. Les citoyens du Vatican attendent beaucoup des Croisés et des Saints afin de se sentir en sécurité chez eux. Diriez-vous qu'ils ont raison de l'être ? »

Attendre la réponse positive, poser un décor rassurant pour amadouer l'assistance : Lhaar était une metteuse en scène diabolique.

"La sécurité de tous est en effet la priorité de notre ordre."

La sécurité, préoccupation classique de la population, à travers le temps et les âges. Cela ne différait pas dans la cité du Vatican et c'était peut-être même encore plus vrai avec la menace, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit, que représentent les hérétiques. Mais la communication des forces de l'ordre à ce sujet était parfaitement rodée.

"Nous sommes bien conscients des inquiétudes de nos citoyens, mais mes collègues font un travail remarquable et nos forces de police sont d'une rare efficacité et toujours extrêmement disponibles et à l'écoute des problèmes de chacun."

Alicia marqua une brève pause avant de reprendre.

"En vérité, nous sommes fiers de pouvoir dire que les objectifs que nous nous étions fixés il y a de cela deux ans sont désormais atteints, et que nous sommes capables d'assurer la sécurité de tous et que tous peuvent se sentir plus que jamais en sécurité dans les rues de notre belle ville."

Excluant bien évidemment la périphérie. On ne parlait jamais de la périphérie. Car évidemment, si les propos d'Alicia s'appliquaient parfaitement aux trois principaux quartiers de la cité du Vatican, où les problèmes, le plus souvent mineurs, étaient rapidement sous contrôle des forces de l'ordre, aussi rapides qu'efficaces, c'était une toute autre histoire dans la périphérie. Mais là n'était pas le sujet.

"J'en profite d'ailleurs pour rappeler à tout le monde que nous sommes toujours heureux d'accueillir de nouvelles personnes passionnées et volontaires au sein de notre ordre, et qu'il ne faut pas hésiter à vous adresser à Mademoiselle Oakley, que vous devez bien connaître, si vous souhaitez rejoindre les Croisés. Les portes de nos locaux vous seront toujours ouvertes."

La sécurité, leur priorité. Ben voyons. Le contraire aurait étonné l'assemblée de toute façon. Néanmoins Alicia ne sembla pas surprise par la question de Lhaar, à la fois parce qu'elle la connaissait d'avance mais surtout, comme si elle pressentait qu'après les récents événements, elle allait la lui poser. Elle s'étala avec éloquence sur le sujet, ne manquant pas à la fin, de faire un petit coup de pub. Lhaar fronça légèrement les sourcils, prête à évoquer une question qui n'était pas dans ses papiers mais dont elle, et tous ceux qui l'entouraient, brûlaient d'entendre la réponse.

« Merci d'avoir éclairci ce point avec nous, Mademoiselle Alvey. La sécurité est un domaine dont se soucient beaucoup les citoyens. Il me semble d'ailleurs qu'elle est au cœur des discussions actuelles, après les événements qui se sont déroulés début Novembre. »

L'affaire concernant un groupuscule d'Hérétiques avait eu lieu déjà presque deux mois en arrière, mais elle continuait de faire du bruit, par la façon très stratégique et totalement inattendue dont elle avait éclaté, bousculant les Croisés dans leurs plans. C'était sans doute pour cela qu'Alicia faisait subtilement sa petite propagande : certains Croisés avaient peut-être été virés suite à ces événements, et la sécurité devait être clairement renforcée. Lhaar se retint cependant de formuler ses pensées à haute de voix, afin de ne pas se prendre à la fois son invitée et sa patronne sur le dos – qui la féliciterait de toute façon en loges, avant de voir la chute délibérée de son audience et de la virer.
Parfois, il fallait savoir prendre des risques.

« En effet les événements ont sans nul doute surpris tout le monde et de récents sondages publiés dans les journaux La Voix, La Mise au Point, La Colombe ou encore Les Rumeurs, selon différents points de vue, sont portant éloquents. Les citoyens ne se sentent plus du tout en sécurité depuis ces événements. Avez-vous prévu certaines mesures pour réagir à ce qu'il s'est produit ? »

Alicia lança brièvement à Isabella un regard lourd de sens. Voilà bien ce qu'elle craignait depuis qu'elle avait accepté de se prêter à l'exercice de cette farce. Elle ne connaissait que trop bien les journalistes et leur irrépressible besoin d'aborder les sujets les plus délicats, surtout lorsque l'occasion était bien trop belle. Elle pouvait comprendre la journaliste, évidemment, c'était bien trop beau, mais cela ne lui plaisait pas. Alicia se reteint de faire une remarque acerbe sur les sondages qu'elle évoquait et reprit la parole aussi calmement que possible.

"Cela fait plus d'un mois que les mesures ont été prises et que l'incident est clos. Vous n'êtes malheureusement pas sans savoir que ces événements, comme la plupart des autres de ce genre, sont l’œuvre d'une minorité d'irréductibles refusant d'accorder à nos concitoyens la paix qu'ils méritent tous, et qu'il est probable qu'ils réitéreront leurs actes atroces. Notre politique à ce sujet à toujours été très claire, la transparence étant pour nous aussi importante que la sécurité de tous. Toutefois, malgré la volonté qu'à notre Pape à tendre la main à ces individus, qui sont des citoyens comme nous tous, nous n'avons, jusqu'à présent, jamais été en mesure d'ouvrir le dialogue avec eux, et nous déplorons d'ailleurs leur refus qui se traduit par de violentes exactions de leur part et, surtout, qui ne fait que faire souffrir des innocents."

Comme à chaque fait d'arme des hérétiques, leur communication sur le sujet avait été minutieuse et leur méthode était à force bien rodée, mais il s'agissait malheureusement là d'un fléau qu'Alicia déplorait par dessus tout.

La Sainte exagérait sans nul doute les choses, mais qui ne l'aurait pas fait, sinon les journalistes et autres savants qui savaient faire preuve de regard critique. Lhaar regarda la jeune femme d'un œil compréhensif, mais n'en pensait pas moins. Ainsi donc, les mesures avaient bel et bien été prises et ils considéraient l'affaire classée.

« Navrée d'insister Mademoiselle, mais vous n'avez pas répondu à ma question. Quelles mesures ont été prises, concrètement ? Le quotidien des citoyens du Vatican va-t-il changer ? Peut-on nous attendre à un renforcement de la sécurité dans une certaine plage horaire, durant de grands événements, ou encore à une multiplication de vos effectifs ? »

Ca non plus, ce n'était pas exactement ce que le prompteur dictait. Mais c'était l'occasion de jouer la carte de la surprise histoire de mettre un peu de piment dans cet entretien chiant à mourir. Comment le métier de journaliste pouvait-il être palpitant, si nous ne prenions pas un minimum de risques ? Cette question devait sans nul doute être la dernière concocté par Lhaar qui ne comportait pas de pièges. Les intentions étaient louables : il s'agissait de rassurer concrètement les citoyens plutôt que de leur mentir par omission.

On envoya un message dans l'oreille de Lhaar lui demandant de détendre l'atmosphère à l'aide de questions naïves et futiles de la part de différents auditeurs.

« Je rappelle à nos chers téléspectateurs qu'il est possible de nous envoyer des questions par lettre postale, par e-mail ou encore par sms. Ce soir nous avons reçu un grand nombre de questions suite à l'annonce de votre venue Mademoiselle Alvey, et nous nous sommes permis d'en sélectionner quelques unes. »

Lhaar tria ses petites feuilles comme un paquet de cartes avant de choisir une question banale, easy level.

« Celle-ci nous vient de Monsieur Jasper O'Well, qui désirerait connaître, comme beaucoup de personnes ici je pense, la façon dont vous procéder pour sélectionner vos frères d'armes ? Quels examens faut-il passer et quels critères faut-il remplir ? »

Alicia fit son possible pour éviter de montrer à quel point elle était excédée, et c'est avec un sourire forcé qu'elle répondit à la journaliste dont elle se ferait le plaisir de vérifier le dossier une fois cet entretient ridicule terminé.

"Me demandez-vous d'expliquer en direct à la télévision ce que mes collègues et moi comptons faire afin d'empêcher des éléments subversifs de nuire alors que ces mêmes éléments subversifs sont certainement en train de nous regarder en ce moment même ? Désolée, mais à part vous dire que oui, nos effectifs ont été renforcés, vous comprendrez que ces informations doivent rester secrètes. Je ne serais pas digne de la confiance de nos concitoyens si j'étais si prompt à révéler les actions futures de notre police. Ce serait là le meilleur moyen d'assurer leur insécurité."

Fort heureusement, la suite permit à Alicia de se détendre.

"En toute franchise, il est rare qu'une personne se présentant à nous en nous disant vouloir intégrer nos forces soit refoulée. Bien évidemment, outre une vérification de votre identité et de vos antécédents, nous avons une série de tests, autant intellectuels que physiques, auquel il faut se soumettre. Cela va du test de logique à ceux d’endurance. Toutefois, nous recherchons constamment de nouvelles recrues et de très nombreux postes sont à pourvoir, et ceux-ci sont extrêmement variés. De ce fait, si l'envie vous prend de nous rejoindre n'hésitez pas, vos compétences, quelles qu'elles soient, trouverons très certainement une utilité dans l'un de nos nombreux services."

« Vos effectifs sont donc renforcés, c'est ce que j'attendais et quand on considère l'ouverture d'esprit de la police, il est certain que vous trouverez preneurs très rapidement ! »

Lhaar poursuivit avec plusieurs autres questions données par les auditeurs. Elle ne pouvait pas prendre le risque d'être chiante sans trop se mouiller devant les pro-gouvernement et surtout devant sa patronne qui adoôorait Alicia Alvey comme on adore une people dont on affiche mille photos sur les murs de sa chambre. La Croisée fut remerciée peut de temps après afin que Lhaar termine son journal, où il était question d'une critique de la fameuse attaque terroriste de la période fin Octobre début Novembre, ainsi qu'un avis très tranchant de la part de Lhaar sur la question.

Les membres du staff dégainèrent enfin leurs panneaux d'applaudissements et le public s'empressa de répondre à cet ordre muet tandis que le jingle de l'émission retentissait. Les membres de l’auditoire furent évacués et il ne resta bientôt plus que Lhaar sur le plateau ainsi que les techniciens. Sa patronne s'approcha d'elle simplement pour lui adresser un clin d’œil avant de lui annoncer qu'Alicia Alvey était toujours présente et qu'elle pouvait aller la voir.

« Et puis quoi encore ! Je ne suis pas nounou, et puis elle est certainement très occupée ! »

Sa patronne la poussa dans le couloir en argumentant qu'elle pouvait très bien obtenir de nouvelles informations de la Croisée autour d'un café, et que si elle jouait correctement de ses charmes, Alvey n'y serait peut-être pas indifférente. Maugréant, Lhaar évacua le plateau et, ses fiches sous le bras, retrouva Alicia Alvey dans le couloir, au fond duquel trois distributeurs se tenaient chaud, accompagnés par quelques fauteuils disposés devant une baie vitrée qui donnait sur la ville éclairée. Posant ses fiches sur un fauteuil, Lhaar tira un thé fumant d'une des machines avant de se laisser glisser contre le cuir de l'assise.

« Ca va ? » demanda-t-elle bêtement en avalant son thé.

L'entretient terminé, Alicia s'était empressée de quitter les lieux. Cet exercice avait mis ses nerfs à rude épreuve et elle se jurait désormais qu'elle laisserait Gregorio se démerder avec ça, à l'avenir, et au diable les demandes pressantes d'Isabella. Son collègue Saint était bien plus à l'aise avec les mots qu'elle ne l'était, et encore bien plus avec les foules.

C'est à toute vitesse et en grandes enjambées qu'elle avait traversé le couloir, avant d'être arrêtée par la sonnerie juvénile de son portable qu'elle tira de sa poche. Quand on parle du loup. Elle s'arrêta devant les distributeurs dont un tour de clé magique accordée aux Croisés lui permit d'en tirer un gobelet de chocolat chaud sans avoir à débourser un sous, et passa ainsi quelques instants à invectiver Gregorio qu'elle tiendrait pour responsable de ses malheurs du jour au moins jusqu'au dîner de ce soir. Alors qu'elle raccrochait et relevait les yeux, elle vit que Lhaar venait de la rejoindre. Le regard de la jeune Sainte s'assombrit alors qu'elle le baissait de nouveau pour se concentrer sur l'écran de son téléphone et répondit d'un ton sec à la journaliste.

"En tout cas, vous, vous devez aller bien, Lowell. L'audience sera certainement au rendez-vous."

Elle marqua une pause durant laquelle elle acheva son chocolat chaud.

"J'imagine que vous vous êtes bien amusée."

"Ca n'est pas mon problème." répondit simplement Lhaar au sujet de la question de l'audience. "La longueur d'un contrat ne dépend pas que de ça, ici. Ca se saurait."

Il suffisait au contraire qu'Isabella vous ait dans le collimateur et vous dégagiez aussi sec. Si elle vous aimait bien, elle était plus clémente sur certaines entorses ; c'était ce qu'il se passait avec Lhaar. Le problème résidait dans son caractère lunatique et sa manière très stricte de concerner son business. La vacuité permanente engageait Lhaar à agir comme elle l'entendait, puisque de toute façon il était impossible de savoir de quoi demain serait fait.

Le ton employé par la jeune Sainte indiqua clairement que cet entretien ne lui avait pas plu. Qu'elle s'était sentie blessée, agressée, humiliée. C'est le but, ma petite dame. Etre une célébrité présente des risques très élevés, que l'on choisit d'assumer, ou non.

"Pas vraiment. Je n'ai pas posé toutes les questions que j'aurais voulues. Je vous aurais volontiers questionnée plus profondément sur les mesures prises par les Croisées suite à ces événements inopinés ainsi que sur votre orientation sexuelle ou la forme de vos petites culottes. Mais je n'ai pas eu le temps."

"En effet, il est vrai que d'autres facteurs entrent en jeu."

Puisqu'au final, les médias installés dans la tour du Savoir et placés sous la direction d'Isabella n'étaient que des instruments dont eux, les Croisés, se servaient. De ce fait, il n'était pas rare qu'ils interviennent directement pour modifier les programmes ou s'occuper du cas de certains journalistes dérangeants. Alicia rangea son téléphone dans l'une de ses poches et lança avec précision son gobelet vide dans la première poubelle venue, avant d'occuper son regard à dévisager Lhaar.

"Eh bien ! Je pensais que votre émission était politique, mais on dirait que vous semblez également intéressée par le people !"

Croisant les bras, la jeune Sainte s'adossa au premier mur venu.

"L'intérêt que peut représenter ma vie privée m'échappe, mais si je peux satisfaire votre curiosité personnelle, allez-y, Lowell. Mademoiselle Iannuzi en sera certainement ravie."

"Bien entendu, je suis une femme après tout."

Lhaar haussa les épaules avec un petit sourire mutin. Elle assumait complètement ses petits intérêts et ses petites curiosités. Elle n'était à présent plus payée, donc plus en train de travailler. Elle était donc tout à fait en droit de s'exprimer librement sans se brider de peur de sortir de la déontologie imposée par sa patronne. Pourquoi exercer le métier de journaliste si ce n'était pas pour sublimer son caractère de commère naturelle ? Lhaar avala une nouvelle gorgée de son thé brûlant dont la chaleur lui fit monter les larmes aux yeux.

Alicia la défia de lui poser les questions qu'elle souhaitait, sachant pertinemment qu'il s'agissait de satisfaire indirectement la curiosité de sa patronne qui devait être dans les petits papiers des Croisées pour une raison mystérieuse et des conditions dont elle préférait ne pas être au courant.

"Eh bien je viens de vous poser mes questions, il me semble."

Une femme hein. Sur le coup, Alicia se demanda ce qu'elle pouvait bien être, elle. Avait-elle quelque chose de réellement féminin au final, elle qui s'intéressait plus à ses prochaines interventions musclées qu'aux potins ? C'était cliché, bien évidemment, mais c'est vrai que sa situation ne devait pas être étrangère au fait que sa vie amoureuse était au point mort. Quel genre de fille pourrait bien être intéressé par le bras droit du Pape ? Personne visiblement.

"Je n'ai jamais caché mon attirance pour la gent féminine, et je crois savoir qu'il en va de même pour vous. Comment se porte Lou, d'ailleurs ?"

Évidemment qu'elle la connaissait, puisque Lou Lowell était une ancienne membre des forces de l'ordre, qui avait décidé de travailler à son compte. Les Croisés n'avaient jamais rien à redire à cela, si tout était fait dans les règles comme cela avait été le cas pour Lou.

"Pour ce qui est de mes sous-vêtements, si Dieu veut bien me permettre de rencontrer mon âme sœur, alors je laisserai à celle-ci le plaisir d'en découvrir la nature. Par contre, vous vous doutez bien que je dois sacrifier l'esthétique pour le confort, les activités physiques étant mon lot quotidien. Pour finir, je vous ai expliqué dans notre entretient que le reste des mesures que nous avons décidé de prendre étaient confidentielles, je suis désolée, mais vous n'en saurez pas plus."

Lhaar ne fut pas étonnée d’avoir à donner des nouvelles de Lou qui avait quitté tout à fait légalement les Croisés pour faire son chemin seule.

« Très bien, je vous remercie pour elle. Actuellement, elle doit être en hystérie devant la télévision. Ses deux plus grandes idoles étaient sur le plateau ce soir, après tout. Vous n’aurez qu’à passer à la maison un de ces quatre. Je suis certaine qu’elle sera heureuse de vous revoir. »

Elle saisit le cordon du sachet de thé qu’elle extirpa du gobelet brûlant avant de le presser entre ses doigts pour en faire ressortir toute l’acidité. Se concentrant longuement sur les dernières gouttes de thé plongeant dans le liquide, elle jeta ensuite lestement le sachet dans la poubelle avant de prendre son gobelet des deux mains pour se réchauffer. Le stress vole une énergie considérable au corps humain qui laissait chez Lhaar une désagréable sensation de froid.

Alicia Alvey lui confia de manière tout à fait détournée ses goûts pour les sous-vêtements sans attirer le moindre mystère et par conséquent le moindre fantasme. Mariée depuis un certain temps à Lou, Lhaar ne regardait de toute façon personne d’autre depuis des lustres. Même si elle aimait les femmes qui lui tenait tête, sortir avec une célébrité ne rentrait absolument pas dans ses désirs. La vie privée des autres l’intéressait, mais pas question qu’on touche à la sienne.

« Quel dommage. » ponctua-t-elle simplement ces révélations fades avant de se concentrer sur la ville plongée dans la nuit.

"Si mon emploi du temps me le permet, pourquoi pas."

Alicia revoyait rarement les personnes qui quittaient les Croisés, ou alors, généralement, c'était pour les éliminer ou les jeter en prison, une perspective toujours un peu triste. Enfin, du côté de Lou, c'est vrai que c'était un peu différent.

Pour le reste, après avoir parlé sous-vêtements, Alicia était restée silencieuse, réfléchissant quelque peu. À l'émission qui venait de se terminer, à ce qu'elle allait faire, à l'émission qui venait de se terminer... Et l'heure avait filé, au final.

"Bien, sur ce, je vais devoir vous laisser. Mais, avant ça..."

Alicia avait fait quelques pas, prête à quitter les lieux, mais s'était finalement arrêter à hauteur de Lhaar.

"...Si je vous dit "Hibou Vigilant"*, vous me répondez... ?"

Alicia répondait de la même manière que Lhaar, par pure politesse. Les deux savaient qu’elles ne souhaitaient absolument pas se retrouver dans la même pièce autour d’un café, comme de bonnes copines. Lou ne comprendrait rien à ce stratagème et ce n’était pas le moment de l’ennuyer avec ça. Lhaar replia ses mollets sous ses genoux de manière à se positionner en tailleur sur son fauteuil inconfortable. La position la força à se redresser, imperceptiblement, pour affronter la pique de la jeune femme. Elle ne lui accorda pas le moindre regard.

« Je vous réponds de faire très attention à votre derrière. Le nom de ce journal n’est pas choisi au hasard, les murs ont des oreilles. »

Elle porta le gobelet à ses lèvres avant d’en avaler une longue gorgée aussi brûlante que son regard.

« En vous souhaitant une bonne soirée, Mademoiselle Alvey. »