« Aller, on se bouge ! »

Lundi, jour de marché. Un bazar pas possible à traverser, mais vu les boutiques qui s'étendent dans les veines adjacentes du monstrueux Vatican, ça en vaut bien la peine. Lou n'avait pas à discuter. Aujourd'hui on faisait les boutiques, et principalement pour elle.

« Ca serait bien que tu mettes d'autres fringues plus pimpantes, non ? »

Lhaar n'avait pas attendu la réponse de son amante pour la prendre par la main et l'entraîner dans les rues plus modestes qui succédaient à l'imposant quartier financier, où leurs larges revenus leur avaient permis d'établir domicile.
Le marché se tenait déjà sur sa place depuis plusieurs heures tandis qu'à l'heure où Lou et Lhaar le traversaient, les boutiques ouvraient tout juste. Les stores et autres rideaux de fer se levaient, les enseignes et les vitrines s'allumaient, les affiches dévoilaient leurs promotions dites « exceptionnelles » – 360 jours par an – et les premiers clients affluaient déjà aux portes de leurs boutiques préférées.

Celle que Lhaar visait en premier se dressait au fond de la rue. Elles parvinrent, au terme de violents jeux de coude, à s'y glisser. Ah, déjà plus calme !
Liberty Swift se cachait entre deux enseignes bien plus imposantes. Il s'agissait d'une petite boutique qui comme son nom l'indiquait plus ou moins, vendait des produits voyants et faciles à enfiler. Une sorte de boutique de luxe qui se voulait « bobo » mais que Lhaar aimait beaucoup. Car oui, à LS, moins y'a de tissu, plus c'est cher.

Lou tirait explicitement la tronche. Non pas parce que Lhaar ne voulait absolument pas lâcher sa main, à raison puisque dans la seconde où elle le ferait la brune prendrait ses jambes à son cou, mais surtout parce que Lhaar s'était mise dans la tête de l'emmener faire les boutiques afin de lui dénicher des vêtements qui changeraient de ses habituelles tenues sombres, qui constituaient à la fois sa garde-robe de tous les jours et de travail.

Évidemment, Lou était toujours heureuse de passer un moment avec sa compagne... mais pas pour faire les magasins. Tout mais pas ça. La jeune femme soupira, se frayant un passage à travers la foule en même temps que Lhaar, qui l'entraînait dans des quartiers qu'elle ne fréquentait absolument jamais, étant une habituée de la même boutique depuis sa carrière dans la police du Vatican, dans laquelle elle avait acheté à peu près toutes ses vestes en cinq exemplaires.

Et elles arrivèrent finalement à la boutique que recherchait Lhaar. Lorsqu'elles y pénétrèrent, Lou arqua un sourcil, profondément dubitative. Elle savait bien qu'elle n'allait pas pouvoir y couper mais là... là...

"Tu veux... vraiment... que je porte ça... ?"

Les yeux de la détective ne parvenaient pas à se détacher de la vision qui s'offrait à elle. Une robe à la couleur si intense que la regarder lui faisait mal et au prix tout simplement astronomique si l'on comparait ça au nombre de centimètres carré de peau que le vêtement semblait pouvoir couvrir. C'est bien simple : à première vue, avec cette robe, porter quelque chose ou pas, cela semblait revenir au même.

« De quoi ? Mais non voyons ! »

Eclatant de rire, Lhaar saisit le tissu rose flashy bonbon barbie pétasse qui attirait l'attention de sa compagne, autant par sa couleur que par son prix. Jetant un regard faussement méprisant à l'étiquette, elle contracta son diaphragme dans un gloussement de gamine pré-pubère qui veut tenter des choses nouvelles mais n'en a pas les couilles. Puis elle reposa vulgairement le cintre sur son portant avant de prendre Lou par le bras, chaîne de chair, de sorte qu'elle ne s'en tire pas si facilement.

« Passer du noir au bleu, pourquoi pas, mais du noir au rose papier cul, il ne faut pas exagérer quand même. »

Lhaar connaissait les mensurations de Lou par cœur pour la simple et bonne raison que dans tous les cas, de la taille aux hanches en passant par la poitrine ou la carrure, c'était l'exact opposée des siennes. Elle déambula en chantonnant dans le magasin, bousculant les personnes qui se trouvaient un peu trop sur son passage et atteignit le fond de la boutique avec une pile de vêtements tous plus colorés les uns que les autres. Les cabines d'essayage drapées de soie rouge s'étalaient en rang parfait en face d'elles, certaines cachant leurs occupantes.

Une femme se précipita vers elles en demandant d'une voix fluette si elle pouvait leur prêter aide ou conseil mais Lhaar l'envoya simplement paître sans courtoisie avant de pousser Lhaar dans la cabine et d'y pénétrer à son tour.
Posant les cintres sur le portant, elle entreprit de dévêtir son amante.

Lou soupira de soulagement lorsque sa compagne lui répondit qu'elle n'aurait pas à supporter une telle tenue. Soulagement dont elle ne profita que l'espace de quelques secondes puisque Lhaar avait déjà décidé de l'entraîner autre part dans la boutique. La détective aurait avec grand plaisir appelé à l'aide, mais elle savait qu'elle serait incapable de s'en tirer. C'est ainsi qu'elle se retrouva dans une cabine d'essayage sans avoir son mot à dire, à part...

"Stop, je peux le faire toute seule !"

Lou était soudainement devenue écarlate lorsque Lhaar, qui était entrée dans la cabine également, avait commencé à la dévêtir. Pas que ça ne lui plaisait pas, évidemment, mais au beau milieu d'un magasin de vêtements, ce n'était pas vraiment son trip. Enfin, disons plutôt qu'elle était passée à d'autres fantasmes. C'était à peu près toutes les pensées qui déboulaient dans la tête de Lou qui n'envisagea même pas une seule seconde que les pensées de sa compagne puissent être tout à fait pures et innocentes.

...Vaste blague.

Bref. Ayant finalement réussi à convaincre sa chérie de lui laisser un minimum d'intimité, qui servirait en fait essentiellement à se faire à l'idée de devoir porter une tenue différente de celle qu'elle avait depuis des années, Lou porta donc enfin son attention sur les tenues, justement, sélectionnées par Lhaar. Ça va, elle s'attendait à bien pire en vérité. C'était bien mieux que ce qu'elle avait vu à l'entrée, en tout cas. La jeune femme se mit donc à examiner robes, chemises et pantalons, avant de finalement tomber sur une robe bleue (quel hasard) qui l'hypnotisa. Lou était une petite princesse refoulée, en vérité. Elle faisait celle qui ne supportait pas les jolies robes pour se donner un genre mais qui en essayait en cachette. Du coup, ni une ni deux, Lou acheva ce que sa compagne avait commencé et se déshabilla avant de se saisir de la robe et de l'enfiler. Après d'interminables secondes passées à s'observer dans le miroir de la cabine d'essayage et à ne pas se reconnaître, elle trouva finalement le courage d'ouvrir le rideau et de se dévoiler à Lhaar, mal à l'aise avec une robe qui lui descendait en-dessous des genoux mais qu'elle trouvait encore trop courte par manque d'habitude et de confiance. Elle détourna les yeux.

"Qu... qu'est-ce que tu en penses... ? Ça me va ?"

Non, évidemment que cela ne lui allait pas, elle en était sûre et certaine.

Sans forcer sa belle, Lhaar avait accepté de quitter la cabine d'essayage pour lui laisser un tant soi peu d'intimité. Comme si elle ne l'avait jamais vue nue ; elles étaient mariées et couchaient ensemble, tout de même ! Mais Lhaar connaissait la timidité de Lou vis à vis des fringues qui sortaient de son ordinaire panoplie women in black et n'avait pas insisté. Elle même aurait surement rechigné à mettre du noir comme le faisait tout le temps sa chérie.

La jeune femme fit passer le temps en se baladant dans les rayons, chipant des fringues ici et là. Elle n'en avait pas particulièrement besoin mais ne pouvait s'empêcher d'essayer des vêtements à chaque fois qu'elle rentrait dans un magasin de ce genre ; c'était une vraie femme, pas de doute là dessus. La journaliste rentra dans une cabine voisine de celle de Lhaar pour enfiler une splendide robe jaune cintrée en dessous de la poitrine en un décolleté plongeant, qui partait en volants à partir d'une petite ceinture qu'on nouait dans le dos. Habituée, elle se débrouilla seule, et elle était déjà en train de s'admirer dans le miroir en dehors de la cabine quand Lou pointa timidement le bout de son nez.

Lhaar se retourna pour l'admirer et fut surprise de la voir audacieuse au point d'avoir enfilé une robe bleu nuit qui lui descendait jusqu'en dessous des genoux et qui dans sa coupe ressemblait très certainement à la robe d'une princesse. Des étoiles scintillèrent dans les yeux de Lhaar.

« Si ça te va ? »

Elle sautilla presque sur place et bondit dans sa direction avant de coller son front contre le sien.

« J'ai envie de te manger toute crue ! »

Traduction : ça lui allait. Ce qui surprit quelque peu Lou dont la confiance en soi était en-dessous du niveau de la mer, pour tout dire. Fosse des Mariannes ? Visez encore plus bas et vous y êtes. Du coup, c'est avec un petit sourire gêné qu'elle accueilli la réponse et... le contact de Lhaar.

"Ça attendra encore un peu... !"

Finalement plus en confiance et donc plus à l'aise, c'est avec une touche de malice qu'elle répondit à sa compagne. Mais pour le coup, Lou était particulièrement fière de l'effet qu'elle faisait. Ceci dit, un rapide regard sur la tenue qu'arborait désormais Lhaar lui apprit qu'elle n'était pas en reste.

"Mais, ma foi, tu sembles également fort appétissante !"

Ponctuant ses mots d'un rire léger, Lou s'engouffra de nouveau dans la cabine d'essayage dont elle tira les rideaux, retirant et mettant de côté la robe qu'elle avait déjà décidé d'acheter et cherchant une nouvelle tenue à essayer.

C'est parti pour une séance de défilé... !

Lhaar vit briller dans les yeux de Lou cette malice qui la rendait si craquante. Un fourmillement se propagea dans tout son corps lorsqu'elle appris que la robe lui allait très bien, à elle aussi, et elle tira les rideaux pour se cacher. Lhaar resta quelques secondes, interdite, devant le rideau de velours, seule barrière qui l'empêchait de retrouver sa belle pour la dévorer.

Elle entendit un froissement de tissu et le bruissement de quelques cintres. Cela signifiait que Lou était finalement d'accord pour essayer les autres vêtements qu'elle lui avait conseillés. Cette pensée ravit Lhaar. Malgré tout elle prit également conscience que le fait qu'elle ait essayé elle aussi un vêtement mettait sa compagne davantage en confiance. Et on ne priait jamais deux fois Lhaar d'essayer des fringues.

C'est pourquoi elle disparut de nouveau dans sa propre cabine qu'elle s'était arbitrairement attitrée, tant pis pour les autres clientes pressées. Elle avait bien l'intention de rester là et de s'amuser avec sa compagne. Plongeant la main dans son tas de fringues, elles en ressortit plusieurs pièces de tissus qu'elle décida de recycler pour faire une nouvelle tenue.

Lorsqu'elle ressortit, elle arborait un cache-cœur des plus provoquant, dévoilant une grande partie de son ventre légèrement gonflé par les formes et mettant en valeur ses seins admirables. Ses jambes étaient pudiquement recouvertes d'un jean délavé qui lui collait comme une seconde peau et qu'elle avait rentré dans deux cuissardes qui lui arrivaient au milieu de la cuisse.

Et elles continuèrent ainsi un bon moment, transformant la boutique en un vaste terrain de jeu où elles réalisaient leur petit défilé personnel. Lou n'aurait jamais imaginé que cela puisse être aussi plaisant et, même si elle ne le referait pas tous les jours, loin de là, elle devait bien avouer qu'elle avait passé un agréable moment. Puis vint l'instant où elle constata avec effroi, de nouveau dans l'une de ses habituelles tenues noires, que ses économies du mois allaient y passer. Bah ! Après tout, elle pouvait bien se permettre une folie dans le mois, ce n'était pas comme si ses revenus ne l'y autorisaient pas.

Finalement, c'est souriante que Lou quitta le magasin de vêtements, Lhaar à ses côtés et un sac plein à craqué de tenues bien moins sombres que d'habitude dans les mains.

"Eh bien ! Mon portefeuille se sent plus léger !"

Un rire léger fila entre ses lèvres. Et puis, soudain, la douleur. Fermant les yeux, Lou plaqua une main tremblante sur son visage qui s'était fait livide alors que d'effroyables maux de têtes l'assaillaient, faisant défiler ses souvenirs. Elle essaya d'attraper un des comprimés qui l'accompagnaient toujours mais ne put que s'appuyer, faible et tremblante, sur sa compagne.

Lhaar aimait plus essayer les vêtements que les acheter et c'est pourquoi elle quitta la boutique seulement munie de cette jolie robe jaune. Paradoxalement ce fut Lou qui ressorti surchargée du magasin, considérant donc l'objectif de Lhaar comme accomplie. Cette dernière, rayonnante, l'aida à porter les différents sacs pour ne pas qu'elle ressemble à un gros tas de papiers ambulants. Quand soudain, Lou manifesta des vertiges et devint aussi blême que quelqu'un qui avait vu un fantôme. Étonnée, Lhaar cessa aussitôt de marcher et la soutint.

"Lou, que t'arrive-t-il ?"

Bien entendu, elle le savait, cette phrase avait juste été un pur réflexe sur le moment. S'arrêtant à côté d'un banc proche, elle y déposa la grande quantités de sacs qu'elle tenait dans ses bras et pressa les épaules de Lou pour la forcer à s'asseoir. Même si elle connaissait cette manifestation revers de la bénédiction de sa compagne, elle ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter à chaque crise.

"Où sont tes comprimés ?"

Elle saisit aussitôt le sac à main de Lou et chercha rapidement ce dont elle avait besoin. Elle finit par extirper une petite pilule d'une plaquette qu'elle donna à Lou en lui tendant une bouteille d'eau.

"On va s'arrêter cinq minutes et ensuite on va rentrer à la maison, d'accord ?"

"Merci..."

Lou avait laissé le soin à Lhaar de trouver un banc sur lequel elle pourrait se reposer ainsi que de tirer de son sac ses fidèles comprimés contre le mal de crâne, ses alliés de tous les jours. C'est donc avec un grand soulagement qu'elle prit le médicament que lui tendait sa compagne et l'avala d'un seul coup, prenant ensuite le temps de se détendre, les yeux fermés, attendant que la douleur se dissipe peu à peu.

"C'est bon... ça va mieux."

Rouvrant les yeux après plusieurs minutes qui lui semblèrent une éternité, elle adressa un petit sourire à Lhaar, maintenant que ses innombrables souvenirs avaient terminé leur inventaire du jour. Et en parlant de souvenir...

"D'ailleurs, grâce à ça, je me suis souvenue que tu avais promis de m'inviter au restaurant si j'acceptais de faire les magasins ! J'espère que tu n'as pas oublié... !"

Les yeux fermés de Lou lui donnèrent l'impression qu'elle s'était endormie. Lhaar poussa un soupir de soulagement, même si elle poussait toujours le même lors des crises de Lou. Le propre effet secondaire du sien était quasi inexistant : la téléportation ratait simplement. Il n'en résultait rien d'autre qu'une fatigue aberrante et une grande frustration.

Lorsque les yeux de Lou se ré-ouvrirent sur le monde, elle s'éclaira et bondit, si bien que Lhaar s'écarta avec une exclamation de stupeur. Elle fut d'autant plus surprise quand Lou lui rappela son invitation au resto alors que quelques secondes plus tôt, elle était plutôt tentée pour rentrer à la maison. Remise de ses esprits, Lhaar haussa les épaules avec indifférence du genre "Comme tu veux." pour montrer qu'elle s'en rappelait effectivement mais qu'elle était sceptique vis à vis de l'état de Lou.

Se levant, elle saisit les sacs de sa compagne dont elle avait la charge et l'attendit, la lorgnant de haut en bas pour s'assurer qu'elle marchait droit et qu'elle ne faisait pas la comédie juste pour lui faire plaisir. Elles prirent donc une rue adjacente et traversèrent de nouveau la place du marché en direction du Colisée. Là se trouvait le café resto le plus connu de la ville : L'Expectatio. THE café où il fallait être pour une grande occasion. Lhaar ne se foutait pas de sa gueule. Lou avait accepté de porter autre chose que du noir et c'était une grande première depuis le début de leur relation, il fallait fêter ça dignement.

Elles pénétrèrent dans le lieu avec tous leurs sacs et l'on vint les leur prendre pour les déposer dans un vestiaire. Lhaar indiqua une table à Lou et on leur apporta directement les cartes. Passant la tête derrière la sienne, Lhaar assura sincèrement :

"Choisis ce que tu veux, nous fêtons une grande occasion aujourd'hui !"

Même si la tête lui tournait encore, Lou y tenait. De toute façon, cela ne servait à rien de s'étendre pendant des heures sur un mal de tête qui appartiendrait bientôt au passé ! Enfin, façon de parler, vu que Lou s'en souviendrait toute sa vie, mais passons.

Elles se dirigèrent donc doucement vers l'Exspectatio. Où pouvaient-elles aller à part dans le restaurant le plus populaire de la ville, là où vos rêves gustatifs devenaient réalité ? C'est donc avec plaisir, et des idées de ce qu'elle allait prendre plein la tête que Lou y suivit sa compagne, faisant son possible pour ne pas tituber et donc passer pour une alcoolique notoire.

Et, à l'invitation de sa compagne de choisir ce qu'elle voulait, c'est avec avidité que Lou se plongea dans l'étude de la carte du restaurant, bien décidée à rendre ce repas inoubliable.